9.7.16

L'ÉCOULEMENT DES JOURS

Tu te lèves un matin un peu tout croche, sans vraiment savoir pourquoi. T'as les membres qui croustillent un peu trop à ton goût et les paupières qui combattent pour pas lever plus haut qu'au tier des yeux. Pis c'est là, en essayant de te glisser tranquillement le corps en dehors du lit, que tu réalises que t'as dix ans de plus qu’hier.

Pas littéralement dans le sens que t'as dix ans de plus qu'hier. La vie, c'est pas de la science-fiction. Mais que tu réalises que tu vieillis toi aussi, comme tout le monde. Pis ça te fait chier, parce que toi, dans ta tête, t’allais toujours être quasi invincible. T’allais pas être comme les autres, toi. T’allais pas vieillir et devenir plate, te magasiner une maison en banlieue, vivre ta petite vie et just roll with it ‘till the end.

Non, toi, dans ta tête, ta vie allait être comme dans les films. Ça allait être excitant, t’allais faire des choses extraordinaires, vivre ta vie avec une soundtrack mémorable en arrière-plan. T’allais changer le monde, peu importe comment, et sans savoir ce que ça veut dire vraiment. T’étais destiné à de grandes choses, grandes on sait pas à quel point, et sans vraiment savoir c’est quoi des grandes choses, concrètement.

Mais c'est pas comme ça que ça fonctionne, ben non. Ça avance pis tu réalises que tu vis ta vie comme tout le monde. Même si tu le sais que toutes les vies sont uniques et que c’est à nous de se réaliser à notre plein potentiel comme dans un livre de self-help, ça revient quand même à du semi ordinaire. Et que tu finis toi aussi par devenir comme tout le reste, à devenir un petit quelque chose commun.

En fait, tu le devient, mais tu l’as toujours un peu été. Ton être change pas du jour au lendemain quand tu sors de l’école pour te lancer dans le merveilleux monde du marché du travail. T’as toujours été un peu comme les autres, même quand tu te cherchais dans tous les racoins de ta chambre et de la ville étant adolescent. C’est juste que dans ce temps-là, tu te donnais encore le droit de rêver à plus. Dans ta tête, t’étais autre chose, t’allais pas être comme tous les autres. Tu te cherchais peut-être un peu trop, comme on le fait tous à cet âge là, mais au moins, t’avais l’ambition de te trouver, d’être quelque chose d’unique, d’être différent. 


Et c’est ça qui est admirable chez les plus vieux qui essaient et qui foirent. C’est qu’eux, au moins, ils essaient. Ils l’ont pas perdu, la flamme de leur jeunesse qui leur faisait voir leur avenir avec l’espoir ou le désespoir d’en faire quelque chose d’autre. De voir grand. On parle toujours de l’adolescence comme le moment où on vit tout trop intensément, mais c’est toujours mieux une trop grande intensité qu’une apathie désolante. Ben oui, être assistant-gérant dans un magasin d’outils c’est pas aussi excitant que tu l’aurais voulu. Tough shit. Ta job, c’est pas qui t’es. T’as encore le droit d’aspirer à mieux au niveau personnel, à ce qui se passe dans ta tête.

Pis là y’en a qui diront que le vrai monde, c’est pas juste celui que tu t’imagines dans ta tête, mais celui aussi auquel tu dois te confronter à un moment ou à un autre. Celui des guerres, des terroristes, des fuckers à gauche et à droite. Ben oui, c’est déprimant. C’est horriblement déprimant de regarder notre monde, de se dire qu’il sidestep plus qu’il avance. De se dire qu’autant de gens veulent se tirer dessus pour des raisons stupides plutôt qu’au mieux s’aimer, ou au pire juste rester indifférent les uns envers les autres. Mais non, c’est pas ça la vie. La vie c’est plein de belles choses, mais plein de monde aussi qui veulent juste en voir d’autres mourir. Plein de monde qui font des affaires croches, qui font mal à d’autre monde et qui s’en sacrent. Pis ça c’est certain que ça te fuck une vision du monde. Ou que ça renforce ta vision fuckée.

Mais que tu sois initialement super positif ou super négatif, le pire, c’est quand tu finis par juste t’en sacrer. Quand tu finis par juste chercher le confort personnel, quand t’as pu le goût de crier de temps en temps parce que ça te fait chier, quand t’as pu le goût de sourire pour aucune raison en te promenant dans la rue, quand t’as pu le goût de pleurer parce que tu te surprends toi même à être beaucoup trop émotif devant quelque chose de semi-insignifiant.

C’est quand tu te crisses à cent milles à l’heure dans l’apathie de ta vie que tu t’efforces méthodiquement à rendre plate et prévisible, que tu deviens tout ce que tu redoutais devenir étant plus jeune.

Si la vie t’a pas encore trop chiée dans le visage, y’a des bonnes chances qu’il soit pas encore trop tard pour te réveiller dix ans plus tôt dans ta tête, même si ton corps risque de te le reprocher de temps en temps.

Mais au moins, y’aura quelque chose à te dire, au lieu de juste, lui aussi, mourir à petit feu.

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