16.6.14

LE GAVAGE

Les canards sont des animaux. Ils sont très jolis la plupart du temps et font Quack Quack parce que Coin Coin ça sonne plutôt comme une mauvaise traduction. 

Coin Coin. Non, ça sonne pas de même, un canard.

On en mange aussi du canard. Parfois. Certaines personnes. Pas tout le monde. C'est comme le cheval. Choix personnel dans le domaine du diversitus carnivarus. C'est excellent du canard, au goût. C'est comme un grade au-dessus du poulet en terme d'évolution gustative. Confit, magret, cassoulet, barbecue. Ce qui semble être les quatre seules manières de préparer un canard, mais qui restent toutes délicieuses.

Et ça arrive qu'on mange un de ses organes vitaux plus que les autres. Le foie. Qui est habituellement abusivement gras, parce que s'il l'est pas, c'est bizarre. Ça se vend pas à l'épicerie juste un Foie de canard. Ou du moins, pas dans les grandes surfaces. Ça vendrait pas. Comme des langues de boeuf ou de la cervelle de mouton. Y'en a dans le display, c'est peut-être excellent, mais on ose pas y toucher par peur de découvrir quelque chose de nouveau. Parce que la nouveauté, c'est pas agréable. C'est épeurant.

Et le foie pour qu'il puisse acquérir ses qualités de gras, ben faut beaucoup le nourrir, le canard. Pas mal beaucoup. Du genre à lui mettre un entonnoir dans le fond de la gorge et l'engraisser jusqu'à ce que son foie soit une grosse masse dégueulasse, mais délectable.

Bon à s'en lécher les doigts.


Et le canard, lui, ben il a pas le choix. Parce qu'il est pris là dedans de toute façon. Il est né pour se faire gaver de pain, et gavé de pain il sera. Il sera probablement jamais conscient qu'il se fait gaver comme ça à longueur de journée, puisque c'est tout ce qu'il a toujours connu. 

Vrai, ça doit pas toujours être agréable de se faire enfoncer un tube dans l’œsophage, mais c'est pas comme s'il avait d'autres rêves, le canard. Ou la canarde. Il est comme dans la Caverne de Platon, mais au lieu d'être son ombre, c'est un gros tuyau de métal qu'il voit sans savoir que c'est lui-même qui bloque la lumière.

La comparaison est sans faille.

Bref, le gavage, on se le cachera pas, c'est une belle technique efficace pour forcer quelqu'un ou quelque chose à avaler ce qu'on veut bien lui faire avaler. Et à force de gaver, on force le gavé à ne plus savoir où regarder ou quoi faire pour éviter le gavage. Quand tu bourres de quoi, tu t'arranges pour qu'il ne reste plus le moindre espace.

Alors comme un bon petit canard pour qui l'existence se résume à être un foie bien dodu pour un chef trendy dans une émission de télé qui nous servira à rien de toute manière parce qu'on est pas assez bon pour recréer les recettes à la maison sur notre comptoir de dix pouces carrés, on accepte tout ce qu'on nous sacre dans le fond de la gueule sans jamais se demander si les pâturages seraient pas plus verts de l'autre côté des murs en bois pourris de la grange dans laquelle on est pris à perpétuité sans s'en rendre compte.

Roucoule mon canard. Roucoule.

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