19.3.12

LA VIE

Ça commence par une idée, ou une soirée trop arrosée. Un quelque chose qui n'existe pas qui se formera tranquillement au chaud pendant neuf longs mois. Deux personnes décideront d'en amener une autre sur Terre. L'idée de partir d'un rien pour faire quelque chose, pour créer un être. Un être qui viendra au monde pendant de douloureux moments, qui seront suivis par ce que la plupart qualifient du plus beau moment de leur vie. La naissance d'un enfant, d'un petit nous, d'un petit eux. Amener dans ce monde une nouvelle personne.

Puis on doit s'en occuper, l'élever. Ça prend du temps, de la patience, et encore du temps. Faut qu'il apprenne à marcher, à parler, à interagir avec le monde autour de lui. À savoir ce qui est bien, ce qui est mal. Les premiers mots qui sortent de sa bouche, premiers sons qui ressemblent à quelque chose, à une expression concrète, qui peut être aussi simple qu'un maman, mais qui fera tout le bonheur du monde pour ceux qui l'entendront. La magie de voir que l'être qu'on a créé se forme, qu'il marche par lui-même, qu'il prend sa place, qu'il commence à dominer son environnement, petit à petit. Le concept de la vie reste encore vague, mais une petite lueur s'installe dans les yeux, quelque chose qui nous dit que ce n'est plus aussi vague, que le petit être commence à comprendre qu'il est.

Et ça vieillit, ça devient semi-autonome. Ça veut tout, ça veut rien. Ça pose des questions sans cesse, ça commence déjà à vouloir qu'on le laisse tranquille, même s'il pleure qu'il veut voir ses parents quand ils n'y sont pas. Ça court partout, ça énerve, c'est une grosse boule d'énergie infinie. Ça découvre les amis, la vie en dehors du nid familial. Ça tente de comprendre son environnement, ça commence déjà à poser des questions sur d'où on vient, où on va, sans vraiment avoir de réponses claires, sans vraiment comprendre de toute façon. Ça veut s'amuser dehors, ça s'invente des jeux avec un rien, ça a une imagination débordante qui n'a pour limite que l'heure où il faut entrer pour souper.

Puis on tombe dans la phase difficile de l'adolescence. Les nouveaux amis, les premières grosses déceptions qui paraîtront toutes petites plus tard. On se découvre, on découvre les autres. On a la plupart de nos premières grandes expériences existentielles, on expérimente avec tout, on trébuche tout le temps et on se relève. On change constamment de style, de goûts. On pense être ceci ou cela, ou les deux en même temps. On passe par notre crise d'adolescence, on déteste nos parents, malgré qu'on ait des regrets de le faire. On a l'impression que personne ne nous comprend, on commence à se demander à quoi sert la vie, pourquoi on devrait choisir d'en faire quelque chose. Et de toute façon, on sait pas vraiment c'qu'on veut en faire, où ça nous mènera.

Et on tombe dans le monde adulte, celui où on devrait être près d'être la personne qu'on sera. Mais on est pas prêt, pas encore. On cherche, on a un début de quelque chose, mais ça reste vague. On se case en amour, professionnellement, même si ça dure pas toujours longtemps. On va à gauche et à droite pour tester le marché, pour voir c'est quoi qui nous branche vraiment. Les grosses questions existentielles deviennent plus lourdes parce qu'on commence déjà à sentir le poids du temps qui pèse sur nous, les années commencent à s'envoler à un rythme incessant. On parle de notre enfance comme d'une époque lointaine, on comprend plus vraiment les références des plus jeunes, le langage change, nos expressions déjà sentent un peu la poussière. On est né à une époque lointaine, on est souvent appelé monsieur ou madame par ceux qui nous suivent. Les premiers cheveux blancs se montrent le bout des pointes, les lendemains de veille deviennent déjà moins évidents. On se sent jeune, mais le temps passe.

Puis on devient quelqu'un. Avec une carrière, des rêves de fonder une famille, d'avoir une place stable dans la société. On lâche beaucoup les débats de jeunes, les rêves d'une société différente, d'une société nouvelle. On se dit que ce qui importe est à plus petite échelle, que de toute façon, on pourra pas changer le monde. Donc on tente de changer le sien comme on peut, même si notre 9 à 5 domine notre existence. On essaye d'avoir des enfants avec la bonne personne, qu'on se dit peut-être être la bonne puisque le temps presse. On va passer une semaine dans le sud pour oublier la routine quotidienne. On sait plus vraiment c'est quoi le sens de la vie, jusqu'au moment où les enfants arrivent. Ils donnent un second souffle à notre existence. Ils justifient un peu plus le fait qu'on soit ici. Ils ramènent un peu d'espoir, de magie dans notre monde beaucoup trop terne. On redevient enfin un peu plus quelqu'un, quelque chose qu'on croyait perdu.

Et on arrive dans la dernière phase de vie dite active, avant de tomber à la retraite. Les enfants passent par les étapes qu'on a déjà franchies il y a un bout. On s'identifie plus vraiment à eux, à leurs problèmes qu'on a passés il y a longtemps déjà. Pourtant, on les aime plus que tout, puisqu'ils sont partie intégrante de notre existence, ils sont ce qu'on a de plus précieux. Les amours avec la tendre moitié seront peut-être encore les mêmes, ou bien on aura passé à autre chose. Rien n'étant vraiment permanent, ce qu'on se rend compte de plus en plus alors qu'on passe l'étape d'emmagasiner des années pour se mettre à compter à rebours. On veut tout réaliser avant qu'il soit trop tard, les rêves qu'on avait oubliés pour gérer le quotidien. Les voyages impossibles, les talents cachés qui le sont restés par faute de temps, les passions dormantes, les douleurs refoulées, les moments d'introspection disparus. Il faut planifier ce qu'on fera du reste de vie qu'on a devant nous, pour pas passer tout droit.

Puis vient la phase dite finale. Les enfants ont quitté la maison, ils en ont eu à leur tour. On regarde le passé avec tristesse, autant pour les beaux moments que pour les déceptions. On se demande si on a fait tout ce qu'on voulait, si on a été une bonne personne. On se demande ce qu'il y aura de l'autre côté, si autre côté il y a. Notre forme physique commence à nous lâcher, comme les amis, comme la famille de notre âge qui disparaissent tour à tour. Le mental n'est plus pareil non plus. L'acuité, la rapidité laisse place à une forme de sagesse. On ne peut qu'avoir de longs moments de réflexion sur notre existence. Notre existence qui a commencé il y a de ça bien longtemps. Notre existence qui a vu tous types de gens passer, qui a vécu mille et une expériences, qui a parfois été très longue, parfois beaucoup trop courte. Une existence digne de n'importe quel livre, de n'importe quel film, pour peu qu'on s'y intéresse. Une existence qui nous glissera lentement entre les doigts, qu'on trouvera avoir été tellement trop courte, alors que nos petits enfants deviendront adultes à leur tour, que nos enfants passeront eux aussi par de nouvelles crises. On tentera de les aider comme on peut, même si on reste tout autant subjugué par la grandeur de l'idée humaine, par tout cet incompris qu'on ne peut que tenter de comprendre et d'expliquer. On verra la vie continuer son cycle, comme elle le fait depuis toujours, comme elle le fera pour aussi longtemps qu'on voudra lui en laisser la chance. Le monde tournait avant nous, et continuera de le faire après notre passage. Un passage qui aura été marquant pour certains, un passage qui restera quelque part dans les archives, dans les souvenirs. Un passage qui nous manquera, qui était voué à n'être que temporaire, mais duquel on aura tenté de profiter au maximum, malgré ses limites. Ce qui n'avait été qu'un concept dans la tête de nos parents, au début, redeviendra concept dans la tête de ceux qui nous auront suivis.

Et ainsi va la vie.

2 commentaires:

  1. oui et ainsi va la vie ....et ce regard qui change sur elle au fur et à mesure que le temps laisse trace des rides qui se dessinent.
    Très belle réflexion!

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  2. Très bien écrit, très touchant...une petite larme à l'oeil

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